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INTRODUCTION


     Comme François 1er à la bataille de Pavie, les Acadiens, en 1755, ont tout perdu, fors l'honneur. Mais l'honneur leur reste, et c'est ce qui a le plus de prix parmi les hommes.
     Notre premier titre à l'honneur est d'avoir conservé, en dépit de la conquête, et notre religion et notre langue; car les termes du traité d'Utrecht, qui nous a livrés à «l'Anglais» (1713), ne garantissaient que dérisoirement la première, et en aucune façon la seconde.
     Cette langue que nous avons conservée, est celle-là même que parlaient nos aïeux, au milieu du XVIIe siècle, le siècle de Louis XIV, qui a vu la gloire de Bossuet, de Corneille, de Racine, de Pascal, de Molière, de Bourdaloue.
     Des ignorants, des sots, ont prétendu que c'est un patois que nous parlons. Notre idiome est au patois ce qu'un diamant brut est à un brillant. La pierre est identiquement la même. Il ne lui manque que la taille académique et du brossage. En tous cas, c'est du français véritable. Nous parlons exactement le langage que nos aïeux, originaires de la Touraine et du Berri, parlaient, empremier à Port-Royal et au Bassin-des-Mines.
     Notre langage a ceci de particulier qu'il n'a pas changé, qu'il n'a pas même varié, depuis Razilly et d'Aulnay; et ceci encore, que le parler dialectal des Tourangeaux et des Berrichons, d'où le nôtre est sorti, est réputé le meilleur de toute la France.
     Il est vrai qu'il s'est glissé, dans ces derniers temps, un certain nombre, un nombre malheureusement trop grand, de vocables anglais qui se substituent à nos bons vieux mots acadiens. Mais ces intrus, passés au crible, peuvent être rejetés assez facilement avec les drosses et le mauvais grain. Ils le peuvent aujourd'hui, mais cela se pourra-t-il faire dans cinquante, dans cent ans?
     Voici que déjà les jeunes n'entendent plus certains termes familiers à leur pères; ou, ce qui est plus grave, en rougissent parce qu'on s'en est moqué devant eux, les qualifiant de patois. Ces mots sont du meshui condamnés. Si nous ne les recueillons, pendant qu'il est encore temps, ils seront irrévocablement perdus. Or un poète a dit: «Chaque mot qui se perd est une âme qui meurt».
     Je propose aux Acadiens des provinces Maritimes et d'ailleurs, de s'unir à moi, pour sauver ces âmes en perdition.
     Voilà cinquante ans que je m'y applique, obscurément. Deux fois le feu a détruit mon travail. J'ai recommencé après chaque incendie et je viens aujourd'hui, avec une abondante moisson, au-delà de trois mille mots, recueillis au Nouveau-Brunswick, à la Nouvelle-Écosse, à l'Île Saint-Jean, aux Îles-Madeleine, au pays de Québec même (il y a beaucoup de descendants d'Acadiens dans la province de Québec), me proposant, avec la bienveillante permission de M. Roy, d'en publier la liste dans l'Évangéline.
     Ces mots auxquels j'ajoute environ cinq cents locutions, sont tous français, ou l'ont été. Plusieurs sont de la meilleure frappe. On en trouve un certain nombre dans les grands dictionnaires Bescherelle, Littré, Larousse, Hartzfeld & Darmesteter, mais le Dictionnaire de l'Académie ne les a pas recueillis. Or, le Dictionnaire de l'Académie est le dictionnaire officiel de la langue française. Les puristes prétendent que les mots qu'il a consacrés sont seuls orthodoxes; qu'en dehors, il n'y a pas de salut.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.