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L’Acadie de la fin du 20e siècle: réussites et revers (1994-2002)

Dans la dernière décennie du 20e siècle, certains leaders acadiens affichent un discours triomphaliste. Le produit culturel acadien s’enrichit d’un éventail d’artistes et d’artisans tel que le groupe Barachois de l’Île-du-Prince-Édouard, le groupe Grand Dérangement de la Nouvelle-Écosse et la chanteuse Marie-Jo Thériault du Nouveau-Brunswick, qui brillent sur les scènes canadiennes, américaines et européennes. Parallèlement, les radios communautaires de langue française provoquent une véritable révolution des ondes en rejoignant plus de 80% de la population francophone de l’Atlantique, délogeant même, comme dans le cas de Radio-Beauséjour (CJSE) dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, des radios de langue anglaise qui, pendant des décennies, dominaient les ondes dans plusieurs régions acadiennes.

Ces réussites sur le plan culturel côtoient des réalisations marquées dans le domaine économique où, surtout dans l’Acadie du Nouveau-Brunswick, une nouvelle génération d’entrepreneurs acadiens investit le monde des petites et des moyennes entreprises. Les entrepreneures acadiennes sont d’ailleurs particulièrement actives dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, où elles ont reçu les éloges de diverses personnalités, dont l’ancien premier ministre Frank McKenna. Au niveau national, l’Acadie est en vedette lorsqu’en 1995, l’Acadien Roméo LeBlanc, devient gouverneur-général du Canada, et qu’en 1997, le juriste Michel Bastarache devient le premier Acadien à faire partie de la Cour suprême du Canada. Et que dire des performances d’athlètes acadiens comme la gymnaste Lise Gautreau aux Olympiques de Séoul (1988), du volleyeur Marc Albert aux Olympiques de Barcelone (1992), de la volleyeuse Brigitte Soucy aux Olympiques d’Atlanta (1996) et surtout, du coureur de fond, Joël Bourgeois, aux Olympiques d’Atlanta (1996) et de Sydney (2000), sans oublier la fondeuse Milaine Thériault qui a participé aux Jeux olympiques de Nagano en 1998 et à ceux de Salt Lake City en 2002?

Ce « success story » acadien cache cependant de profonds malaises. Si les villes de Moncton et de Dieppe au Nouveau-Brunswick connaissent un important développement économique, c’est entre autres grâce à l’arrivée massive de professionnels acadiens venus principalement des autres régions francophones du Nouveau-Brunswick. Cet exode de cerveaux vers les centres urbains du sud de la province nuit grandement au développement socio-économique de plusieurs régions acadiennes, telle la Péninsule acadienne qui demeure aux prises avec une crise sans précédent dans le domaine des pêcheries. Des décennies de surpêche lui ont en effet laissé un héritage empoisonné, et les timides interventions de l’état provincial et de l’état fédéral ont peu contribué à relancer l’économie de cette région qui, dans les années 1960-1980, constituait un important moteur du développement socio-économique et culturel de l’Acadie moderne.

Sur le plan des droits linguistiques, la loi 88 du Nouveau-Brunswick est enchâssée dans la constitution canadienne en 1993, et même l’Île-du-Prince-Édouard adopte une loi sur les services en français en 2000. La ville de Moncton, au passé francophobe, se proclame officiellement bilingue en 2002, devenant la première ville importante au Canada à faire de la sorte. Ces étapes importantes dans le domaine de la reconnaissance officielle des droits linguistiques des Acadiens ne doivent cependant pas éclipser le fait que plusieurs francophones en Acadie de l’Atlantique doivent encore revendiquer au quotidien des services dans leur langue maternelle et que même au Nouveau-Brunswick, malgré des avancées remarquables dans le domaine, la langue de Molière n’est pas toujours la bienvenue dans toutes les dimensions de l’espace publique. Le dossier linguistique est cependant plus controversé en Nouvelle-Écosse, où la question des écoles unilingues françaises versus les écoles bilingues divise douloureusement les communautés acadiennes de la Baie Sainte-Marie.

Ce survol de l’histoire récente de l’Acadie de l’Atlantique ne serait pas complet sans mentionner l’impact incontournable du premier Congrès mondial acadien en 1994 organisé par diverses municipalités du sud-est du Nouveau-Brunswick. Ce coup de tonnerre dans l’univers acadien a provoqué un renouveau sans précédent de la fierté acadienne ainsi qu’un essor remarquable du produit culturel acadien. Après un deuxième congrès du genre en Louisiane en 1999, la Nouvelle-Écosse organise celui de 2004 et souhaite ardemment connaître elle aussi les retombées positives rattachées à ces événements importants. Enfin, le VIIIe sommet de la Francophonie, tenu à Moncton en septembre 1999, a également permis, surtout aux Acadiens du Grand Moncton, de s’afficher avec confiance comme des partenaires à part entière de la francophonie internationale.