Marquant le début de quelques
décennies de quiétude en Acadie, suite
à bon nombre de conflits entre les
puissances coloniales, la signature du
traité d'Utrecht,
le 13 avril 1713,
change le visage de l’Amérique du Nord.
En effet, suivant l'article 12 du traité,
trois territoires sont cédés à la
Grande-Bretagne par la France : l’Acadie,
la baie d'Hudson et Terre-Neuve. La
France conserve cependant l'île Royale,
aujourd'hui le Cap-Breton ainsi que
l’île Saint-Jean, l’actuelle
Ile-du-Prince-Édouard.
Si, pour la France, l'année 1713
correspond à la perte de territoires
stratégiques, elle inaugure, en
Acadie, une ère nouvelle. En effet,
pour la première fois depuis leur
arrivée en Amérique, les Acadiens
connaissent une période de stabilité
d'au moins trois décennies consécutives.
Toutefois, la paix ne signifie pas
l’absence totale de conflits puisque
la France ne dissimule pas sa prétention
sur les territoires auxquels elle
a dû renoncer.
D’ailleurs, dès 1713, sont confiés
à des ingénieurs français des projets
de construction sur les quelques
emplacements conservés par la France,
qui mise notamment sur la fortification
de positions à l’île Royale afin de
contrer l’enserrement de ses colonies
nord-américaines. La fondation d’une
colonie à
Louisbourg, située à
l’extrémité nord-est de ce qui
constitue aujourd’hui le Cap-Breton,
est d’ailleurs commandée par le
gouverneur français de l’île Royale,
Pastour de Costebelle, qui
voit à l’installation de quelques centaines
d’habitants français contraints à
quitter Terre-Neuve, nouvelle
acquisition anglaise.
Peu de temps après sa fondation,
l’emplacement de Louisbourg est
désigné comme siège du gouvernement
de l’Acadie française, et le projet
de construction d’une forteresse,
dirigé dès 1719 par l’ingénieur français
Jean-François de Verville, vise à
faire de Louisbourg le coeur de cette
nouvelle Acadie française. Le plan
de la forteresse prévoit l’édification
de quatre bastions, liés entre eux par
des fortifications et qui, selon les
ingénieurs, empêchera toute attaque
du côté du continent. Ils avancent
donc qu’il n’est pas nécessaire de
protéger les collines à proximité
de la forteresse. L’histoire
admettra qu’ils ont eu tort de
sous-estimer les tactiques
guerrières des Britanniques!
Cependant, jusqu’en 1745, Louisbourg
s’avère la place forte de l’Acadie
française, bourdonnant d’activités, notamment
en raison des navires de pêche et des
navires marchands qui, arrivés de
France, des Indes occidentales et de
Nouvelle-Angleterre, traversent son
port de mer, un des plus achalandés
de l’Atlantique à l’époque. La
ville-forteresse de Louisbourg
joue un rôle d’autant plus
primordial du fait qu’elle cherche
à assurer l'autosuffisance des colonies
de l'empire en plus de procurer des
matières premières à la métropole et
de fournir un marché aux exportations
de la France. C’est ainsi qu’un
recensement daté de 1737 dénombre
l’installation de 2 023 personnes à
Louisbourg, comparativement à 7 598
personnes dans l’ensemble des régions
acadiennes sous contrôle britannique.
C’est d’ailleurs en territoire anglais
que se font le plus sentir les
conséquences de la conquête de
l’Acadie par les Britanniques. En
effet, malgré la relative quiétude
qui persiste jusqu’à la fin des années
1730, ni les Anglais ni les Acadiens
ne sont au bout de leurs peines, les
premiers cherchant par tous les moyens
possibles à faire signer aux nouveaux
sujets anglais le
serment d’allégeance
inconditionnelle à la couronne britannique,
les deuxièmes résistant de toute leurs
forces aux pressions des Anglais et refusant
catégoriquement de signer tout document qui
les obligerait éventuellement à prendre les
armes contre la France.
La signature de ce serment d’allégeance
inconditionnelle par les Acadiens demeure
l’une des missions premières des Anglais
durant la période, les hauts dirigeants
refusant toute tentative de concession
proposée, notamment la signature d’un
traité de neutralité. De plus, dès la
fin des années 1720, les Britanniques
montrent des signes d’impatience par
rapport à la résistance des Acadiens
à se soumettre à l’autorité.
Lawrence Armstrong,
lieutenant-gouverneur de la
Nouvelle-Écosse de 1725 à 1729, puis gouverneur
de 1731 à 1739, les qualifie de traîtres, d’entêtés,
d’obstinés et de peuple le plus prétentieux au
monde. Ce refus constant de la part des
Acadiens à consentir à une allégeance
inconditionnelle aura, au milieu des
années 1750, des conséquences
dramatiques.
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Pour la période de 1740 à 1750
toutefois, les Anglais doivent
composer avec la résistance du
peuple acadien, mais aussi avec
les tentatives françaises de
reconquête des territoires perdus.
D’ailleurs, la montée des hostilités
persistant depuis quelques décennies
entre les deux puissances coloniales
atteint un point culminant en mars 1744,
alors que la France et la Grande-Bretagne
se déclarent officiellement la guerre
dans le cadre du conflit européen qui
met en jeu la succession d’Autriche.
Cette déclaration de guerre en Europe
est le motif tout désigné pour les
Français, qui en profitent pour lancer
l’entreprise de reconquête des
territoires nord-américains qui
leurs avaient échappé en 1713.
En effet, dès le mois suivant,
la France confie à
François du Pont Duvivier,
alors capitaine de
Louisbourg, la mission de reconquérir
l’Acadie anglaise. Capturant
rapidement le port anglais de la
région de Canso (Nouvelle-Écosse),
édifié pour contrer le transport des
provisions entre l’Acadie anglaise et
Louisbourg, Duvivier libère ainsi un
important passage. Toutefois, les
Britanniques voient à ce qu’un épisode
de la sorte ne se reproduise pas.
Craignant une attaque à Annapolis Royal,
le coeur de la fortification anglaise
de la Nouvelle-Écosse, le gouverneur
du Massachusetts fait parvenir à
Paul Mascarène,
lieutenant-gouverneur
de la Nouvelle-Écosse, un contingent
de plus de 2 000 hommes pour
défendre l’établissement.
Le gouverneur du Massachusetts
avait bien anticipé les desseins
de Duvivier puisque ce dernier
décide d’attaquer en août 1744,
malgré la consolidation des troupes
anglaises. Après un siège qui dure
jusqu’au 2 octobre, mené par 50
soldats et 230 Amérindiens, les
Français doivent admettre la
supériorité en nombre des Anglais
et voir au retrait des troupes.
Cet échec de la France laissera
des marques indélébiles puisque la
réplique des Britanniques en mai 1745
mène à la chute de la forteresse de
Louisbourg, conquise par une armée
anglaise de 4 000 hommes, appuyée
par la Grande-Bretagne, New York, le
New Jersey et la Pennsylvanie, qui
assiègent la forteresse pendant 49
jours avant d’en prendre possession
et de l’occuper pendant quatre ans. En
effet, ce n’est qu’avec la signature du
traité d’Aix-la-Chapelle, en 1748, mettant
un terme à la guerre de Succession d’Autriche,
que Louisbourg et l’île St-Jean seront
restituées à la France par les
Britanniques, en échange de Madras
en Inde et de places stratégiques
en Europe.
Les Britanniques verront dorénavant
à renforcer leur emprise sur les
territoires acquis en Amérique du Nord,
choisissant comme lieu central Halifax,
fondé en 1749, en l’honneur du compte de
Halifax, qui en dirige la colonisation. Le
destin de la France en Amérique se fixe
peu à peu : la faillibilité de la forteresse
de Louisbourg, capturée en 1745 et la perte
du village de Beaubassin, en 1750, que les
Français doivent brûler pour contrer l’avance
des troupe de
Charles Lawrence,
sont des
épisodes qui laissent présager la fin de
la présence française sur le territoire.
Quant à la population acadienne, autant
à Louisbourg qu’en Acadie anglaise, elle
doit s’adapter encore une fois aux
manoeuvres des puissances coloniales et
résister aux assauts des Britanniques. Malheureusement
pour elle, ces événements ne représentent
que des bribes des misères et des épreuves
auxquelles elle sera soumise dans les
années à venir.
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